« La peur de l'avenir est de plus en plus précoce chez les jeunes Français »

Publié le par fnj-haute-normandie


Les jeunes Français vont mal. « Désabusés, peinant à se projeter dans l’avenir, beaucoup considèrent que les études et les efforts ne paient plus« , et que la société ne leur accorde qu’une place médiocre, affirme un sondage Ipsos paru le 20 septembre. Depuis quand ce malaise envahit-il la jeunesse, pourquoi et est-ce spécifique à la France ?

La sociologue Cécile Van de Velde, maître de conférences à l’EHESS et auteur de Devenir adulte, sociologie comparée de la jeunesse en Europe (aux éditions PUF), répond au Point.fr.

Le Point.fr : Un jeune sur deux se sent angoissé, et un sur trois éprouve de la colère lorsqu’il pense à son avenir, selon un baromètre Ipsos. Des études aux résultats similaires se sont multipliées ces dernières années. Comment les analysez-vous ?

Cécile Van de Velde : L’angoisse face à l’avenir, liée à un sentiment d’iniquité entre les générations, est enracinée dans la jeunesse française depuis quinze ou vingt ans, mais la crise, que le marché du travail fait payer très cher aux jeunes, contribue encore à l’accentuer. Surtout, ce sentiment devient de plus en plus précoce : observé d’abord chez les jeunes actifs, il s’est manifesté ensuite chez les étudiants. Aujourd’hui, il descend encore dans les âges et apparaît dès le secondaire, chez des jeunes qui manifestent des troubles psychologiques, parfois très graves, liés à une phobie de l’échec scolaire.

Ce qui est nouveau, en revanche, dans cette étude, c’est le sentiment de colère qui est mis en évidence. 

Pourquoi cette crainte de l’avenir prend-elle une telle ampleur en France ?

 

Deux choses l’expliquent, selon moi. D’une part, le système éducatif français et le poids du diplôme, particulièrement lourd chez nous, qui fait que la période des études et de l’entrée dans le monde du travail est vécue comme décisive pour tout le reste de la vie, donc très anxiogène. D’autre part, le modèle social français, « continental » pour reprendre le terme des sociologues, table sur une solidarité « descendante » entre les générations et favorise donc d’abord les plus âgés, ce qui nourrit aujourd’hui un sentiment d’iniquité. De fait, la jeunesse est le point mort de la politique sociale en France.

Selon ce sondage, les jeunes pensent devoir fournir davantage d’efforts que leurs aînés, pour un niveau de vie moins bon, et ne font plus confiance aux études pour les insérer dans le monde du travail. Avec raison ?

Ce qui est certain, c’est que le diplôme offre en effet une moindre garantie d’emploi et que le sentiment de déclassement est massif et concerne aussi bien les classes moyennes et aisées que les classes populaires. Il ne faut toutefois pas oublier, dans ce débat, que c’est une génération exceptionnellement favorisée, celle des baby-boomers, qui sert de terme de comparaison. Les enfants des baby-boomers veulent tout naturellement vivre aussi bien, sinon mieux, que leurs parents. Cet espoir, déçu, nourrit l’idée de déclassement.

Vous avez consacré un livre important à l’entrée dans l’âge adulte, qui comparait le cas de la France à celui de ses voisins européens. Comment les jeunes d’autres pays, touchés également par la crise, vivent-ils cette période ?

Dans les pays du Nord, l’insertion dans la vie active est à la fois plus longue et plus souple. Elle laisse un espace important à une détermination progressive du jeune, à son développement personnel. Cela passe par une indépendance très précoce, soutenue par des aides importantes de l’État. Dans les pays du Sud, l’Italie, l’Espagne, la situation est complètement inverse. Les jeunes, confrontés très durement à la crise, vivent une précarité de très longue durée et partent de plus en plus tard de chez leurs parents : 28 ans en moyenne, contre 20 dans les pays scandinaves. Le modèle « libéral », du Royaume-Uni, du Canada, des États-Unis, est, lui, très différent. La jeunesse est beaucoup plus courte : il faut « s’assumer » très tôt et par ses propres moyens, ce qui explique que les études soient souvent bien plus courtes que chez nous. Avec la crise, ces pays voient ainsi des jeunes arriver sur le marché du travail déjà surendettés, et ne trouvant pas d’emploi pour faire face.

Le Point

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